S'il Faut En Finir - Chapitre 2
Chapitre 2
Premières loges
On avait convenu tacitement qu'il était superflu de raconter nos vies autour d'un thé et de biscuits secs. Sitôt la transaction effectuée, le cash dans son coffre et la came sous ma veste, je quittai l'immeuble, non sans une certaine hâte. Peut-être bien que j'avais peur, tiens ? Je m'engagai dans l'impasse, en sens contraire, et sans me retourner, je rejoins rapidement l'avenue. Foulées longue, sans hésitation. Je tournai à droite, en direction de mon vélo, que j'avais caché dans un fourré. Non...je n'avais pas le permis. En comparaison, je trouvais le vélo plus silencieux, plus discret, surtout de nuit et sans phare. Et le silence et la discrétion sont parfois des vertus salutaires.
Fidèle à ces principes, je longeai le trottoir et rasai les murs. N'allez pas croire que ceci était motivé par l'ambiance du quartier. J'aurais été au coeur du centre ville historique de la capitale de la chaussure que j'aurais agi pareil...D'ailleurs, je suis plus mal à l'aise avec les riches qu'avec les pauvres. Les premiers vous nuieront d'une manière ou d'une autre, sans besoin de motivation. Les seconds au moins, ont toujours une bonne raison de vous faire du mal. A défaut de diminuer les dégâts, ça les justifie un tant soit peu.
Encore deux pâtés de maisons, et normalement, mon véhicule personnel m'attendait là, dans le fourré, de l'autre côté de la grille de fer forgé qui séparait la rue d'un petit carré de jardin. Car certains osait ici avoir des petits carrés de jardin, et même que les plus téméraires avaient des carrés un peu plus grands. Plus que quelques mètres. Plus je me rapprochais, plus j'accélèrais. Je ne souhaitais vraiment pas me faire de vieux os par ici. Mais quelque chose, ou quelqu'un, allaient en décider autrement. Car...
"Aaaaaargh !!!!"
Un cri. Effroyable. Puis un bruits d'oiseaux décollant en nombre et fuyant à travers les arbres.
"BANG !"
Un coup de feu.
"..."
Plus rien.
"..."
Je voulais partir. Faire comme si je n'avais rien entendu, mais impossible. Impossible. La conscience. Cette putain de conscience, je croyais m'en être débarassé. "Il faut que je me casse, bordel !"
"..."
Je restais immobile. J'avais donc encore un brin de conscience. Et il fallait que je fasse avec. Toujours aucun bruit. Mais toujours dans ma tête le cri qui résonnait. Je voyais à peu près de quelle direction il provenait. La prudence m'indiquait la direction exactement opposée. Ma connerie me dictait l'autre. Devinez qui ai-je écouté ?
Guidé toujours par le souvenir du bruit, je traversais la rue, et atteignait, de l'autre côté une autre impasse. Encore un passage sombre, tout aussi lugubre que l'autre. Foutue ville. De chaque côté des containers renversés laissaient s'émaner de doux effluves de déchets. Oh, un rat ! Salut, toi...Mais au fond...sur le mur, un halo de lumière...Il semblait qu'il y avait en réalité une issue, sans doute un étroit passage qui contournait le dos du bâtiment à ma gauche. Il eut été de bon sens de ne pas aller voir soi-même. Mais vous savez, le bon sens...
Je m'approchai, doucement quand même. Quand je ne fus plus qu'à deux mètres de l'angle du mur, enfin j'entendis des voix. Tout à coup, je me sentis comme un espion au coeur d'une mission, comme un James Bond sur le point d'éliminer les sbires de Dr.No, ou encore comme un OSS 117 sur le point de...Dans les films, quand le héros est à deux mètres de l'angle du mur, il entend toujours toutes la conversation, et plus fort, il lui suffit du son des voix pour connaître exactement la position de ses ennemis, de manière à doubler son avantage de surprise lors de l'attaque. J'aurais été prêt à bondir sur celui qui était de dos, à l'étreindre au niveau du cou et en collant son poignet au milieu de son dos, à saisir le pistolet dans sa poche droite pour menacer son compère en me servant de lui comme bouclier humain. Puis après avoir ajusté, un coup de feu dans la jambe du premier, un autre dans la gibole du second, juste au niveau du tibia, pour blesser sans toucher l'artère, et les deux types hors d'état de nuire était fin prêts à répondre à mes questions.
Revenu à la réalité, évidemment, je n'entendais absolument rien de distinct. Mais suffisamment de tonalités différentes pour conclure qu'ils étaient non pas deux, mais trois. Et convenir que je n'avais plus tellement envie de me la jouer Daniel Craig. Le niveau sonore augmenta tout à coup, et s'agrémenta de bruits de pas. De pas de courses. Plus proches. Plus proches. Dans ma direction. Ma direction. Merde ! Merde ! Merde !
Je partis à toutes jambes, le bout de la rue en ligne de mire. Quel con, mais quel con ! J'entendis un éclat de voix. Les types m'avaient vus, ils étaient à mes trousses. Je parvins à rejoindre l'avenue. Je pris l'arme sous ma veste. Je ne savais pas où aller. Rejoindre mon vélo ? Le temps que je le prenne, ils m'auraient rattrapé. Où aller ? Au hasard, je tournai à gauche. Je passai devant une épicerie fermée, donc les étals vides étaient encore devant. Avec un bras, je les poussai pour les faire tomber dérrière moi. Obstacles de fortune qui ne me sauveraient pas. Le pistolet dans la main, je tentai de tirer à l'aveugle derrière moi. J'ignorais combien il y avait de balles dans le chargeur, je ne l'avais pas rempli moi-même.
"BANG !"
Ils ripostèrent. La balle siffla juste au dessus de ma tête. Je me voyais recevoir celle que j'étais allé chercher. Sauf que dans mon scénario, c'était moi qui la tirait. On appelle ça un "imprévu". Putain ! Comme si je croyais que ça allait changer quelque chose au train de ma vie qui s'accélérait subitement, je me mis à hurler à pleins poumons.
"Qu'est ce que vous me voulez ??? J'ai rien vu !! Je dirais rien !!!"
Il ne manquait plus que je les supplie...Je continuais à courir, mais le souffle allait rapidement me manquer...Je n'arriverais pas à semer mes trois poursuivants armés. Je regrettais déjà ce que j'allais faire mais tant pis.
A la prochaine ruelle, je pris brusquement à droite. Un container était juste dérrière l'angle, je me jetai dérrière; je me redressai en hâte, la tête juste à niveau du couvercle. Quand le premier de mes agresseurs passa devant la ruelle, de toutes mes forces je poussai le container. Je sentis un choc. J'avais fait tomber l'un d'eux. Je n'avais plus qu'à me relever et à faire feu, je pouvais les cuire. Mais...mon arme m'avait échappé et avait glissé sous le container avec le choc. Je m'élançai à nouveau dans la ruelle, croyant qu'avec ce coup de baroud j'avais gagné du temps. Je courrai. J'haletai. Mes poumons brûlaient, ma trachée crachait l'air. Tout d'un coup, un objet lourd heurta la pointe de mon pied. Je n'eus pas le temps de pousser un cri de douleur que je me retrouvai propulsé face contre terre. Une poignée de secondes plus tard, mes assaillants étaient là. Je tournai légèrement le cou en relevant la tête, en priant je ne sais qui que ce ne soit pas ce que j'imaginais. Mais c'était bien ce que j'imaginais. Le canon était là, et pointait sur ma tête.
"On l'a eu comme un rat, ria l'un de ces trois connards cagoulés.
La peur me paralysait. Mais j'eus tout de même un éclair de courage, ou plutôt de témérité. Les regardant tout trois, je leur hurlai :"Ayez le culot de montrer vos têtes, sales putes !"
Ils riairent. Le chien du pistolet qui me pointait résonna. C'est fini pour toi. Allez, écrase, attend. Et crève.
"Tululululululut"
Ce n'était pas le bruit que j'attendais. Ce n'était pas le bruit de la mort. C'était le téléphone du bourreau. Il tirerait, puis il décrocherait. A ma surprise, il avait visiblement choisit d'agir dans un autre ordre.
"Oui ?"
Il tenait toujours le pistolet braqué sur moi. Le téléphone collé à son oreille à travers la cagoule. Ses deux sbires en arrière-plan, au garde-à-vous.
"OK".
Il raccrocha. Il se tourna vers les deux autres. Il chuchota un truc inaudible. Peut-être avaient ils choisi un nouveau mode opératoire. La balle dans le crâne n'est plus trop tendance cet hiver. Enfin, ils me regardèrent.
"Au revoir, mon petit loup. Va donc saluer le mort."
C'était une dernière remarque, tous les méchants dans les films ont une dernière remarque. Un truc qui sonne bien, pseudo-ésotérique, un brin énigmatique. Et après bam, vous êtes refroidis. Sauf que là...non. Le canon s'abaissa. Et...ils partirent. Ils partirent ! Je les vis courir vers la sortie de la ruelle, et disparaître à l'angle droit.
Moi, j'étais toujours là. Par terre, ventre au sol. La tête à moitié tournait vers l'arrière. Haletant toujours, la sueur perlant au front. Je ne parvins pas à bouger tout de suite. Je posai mon front contre le sol, en tentant de retrouver ma respiration et le peu d'esprit qui me restait encore. Enfin, je me relevai.
Je constatai que la responsable de ma chute était une rampe d'escalier extérieur, qui s'est fracassée au sol en se décrochant du deuxième étage d'à côté. "Dernières marches vers la mort". Je fis quelque pas vers le container. Je le poussai. Mon pistolet était là, bien sage. Je le ramassai. J'avais un horrible mal de crâne. Je me dis que ça valait bien la douille dans le cortex que je n'avais pas eu. Je me remis à penser à leur dernière phrase. "Va donc saluer le mort". Je croyais qu'ils étaient sur le point de me tuer, et que j'allais rejoindre "le mort" de cette manière. Mais ce n'était pas le cas, j'étais toujours là. Quant au mort, là dessus aucun doute, ils parlaient de leur victime. Saluer le mort...Merde ! Evidemment !
Un crime se commet devant mes yeux, et je ne ferais rien ? Ben voyons ! Une fois cette fausse énigme déchiffrée je me remis à courir, cette fois nettement moins vite, vers la scène où j'avais rencontré mes trois nouveaux amis. Je craignais ce que j'allais y découvrir mais je n'avais pas vraiment le choix. J'étais témoin, que je veuille ou non.
Je repris la même rue et me dirigea vers le même angle. Cette fois il n'y avait aucun éclat de voix, aucune conversation. Rien qu'un silence. Un silence de mort. C'était le cas de le dire. Je n'étais pas particulièrement rassuré. Allez savoir s'il n'y avait pas une nouvelle équipe prête à se lancer à mes trousses ?
Non. Personne. A part lui. Lui, il avait eu moins de chance que moi, si j'ose dire. Putain, ils ne l'avaient pas raté. Sa chemise blanche était rouge. Il avait trois trous sur la poitrine. Sa tête était tournée vers l'autre côté. Je fis le tour du coeur en m'octroyant un périmètre de cinquante centimètres de sécurité, sait-on jamais si le machabée est un zombie qui va me bondir dessus. Et là l'horreur. La moitié de sa tête que je ne voyais été...consumée. Tellement brûlée que la joue n'existait plus. Il n'y avait qu'un trou béant entre sa machoîre et l'extérieur. Je me sentis sur le point de tomber dans les vappes. Puis un haut-le-coeur me traversa. Un spasme violent. Je ne pus m'empêcher de vomir.
Je pris mon téléphone, et composai le numéro de la police.